Le pavillon algérien à Venise : Briller ou ne pas briller ?

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Amina Zoubir, This is time of Happiness, neon, color green, 20 X140 cm, 2013, photo credit, Anne Murray
Les artistes sont régulièrement confrontés à des déceptions, des refus. Craignant de ne pas être choisis ou de ne pas être à la hauteur des attentes de nos pairs, de nos mentors et plus largement de la communauté artistique, la procrastination est ainsi toujours tentante.

 

Cela nous amène parfois à poursuivre nos rêves de manière secrète, évitant les regards critiques, et nous permettant d'avoir le courage de s'attaquer de manière frontale aux problèmes qui se posent à nous. À ce sujet, la  communauté artistique mondiale est souvent davantage sensible à notre action que peut l'être notre entourage.

 

Artiste et auteure, j'ai eu le privilège ces deux dernières années de rendre visite à de nombreux artistes en Algérie. Ces derniers ont peu d’opportunités d’exposition, et un mince espoir de pouvoir vivre de leur passion. Pour autant, portés par une formidable volonté, ces esprits créatifs traversent les fossés de la société comme de l'eau pourrait le faire, franchissant les murs, invisibles et visibles, que nous construisons, œuvrant pour une approche plus adaptée à une culture désormais mondialisée.

 

J'ai récemment lu de nombreuses choses au sujet de la controverse portant sur le pavillon algérien à la Biennale de Venise — dont les détails avaient été annoncés en mars dernier. Présente en Italie lors de l'inauguration de l'événement, j'ai souhaité comprendre les origines de cette polémique.

 

Au fil des années, divers artistes ont tenté de capter l’attention du gouvernement et de répondre à la nécessité de placer l’Algérie sous les projecteurs de la scène internationale avec un pavillon national à la Biennale de Venise. Au regard de la sélection faite par le commissaire (un processus similaire à ce qui est fait dans nombre de pavillons nationaux),de nombreux artistes algériens se sont sentis laissés pour compte et auraient préféré une sélection plus ouverte. Dans le même temps, d'autres ont compris combien il était difficile de naviguer au milieu des systèmes bureaucratiques et que ces propositions valaient finalement mieux que rien.


En fin de compte, au regard de la situation sociale traversée par l'Algérie, des manifestations hebdomadaires pacifiques organisées dans tout le pays depuis février, il semble que l'annulation du financement par le ministère de la Culture était inévitable. À seulement deux semaines de l'ouverture de la Biennale de Venise, les participants — cinq artistes et le commissaire — ont appris  que le financement n'arriverait jamais et ont été forcés de prendre la douloureuse décision de rester pour défendre leur pays, plutôt que de renoncer à leur projet à court terme. Ils se sont aventurés sur La route non prise comme l'écrit Robert Frost, et cela a fait toute la différence.

 

Des visiteurs découvrent le pavillon non-officiel, avec l'œuvre d'Amina Zoubir en arrière plan — photo © Anne Murray

 

 

Avec courage et détermination, le curateur Hellal Zoubir, et les artistes Oussama Tabti, Rachida Azdaou, Hamza Bounoua, Mourad Krinah et Amina Zoubir — mais également tous ceux ayant collaboré — se sont lancés dans cette aventure. Ainsi, Amina decida qu'il était « Temps de Briller Fort — Time to Shine Bright »  (le titre de son exposition), peu importe l'origine des fonds, publics ou privés. Avec un brin d'ironie, le thème de la procrastination, sur lequel fut basée la proposition curatoriale du pavillon, est devenu un défi de deux semaines, ne concernant pas la création à proprement parler, mais bien la frénésie entourant le challenge que fut la recherche d'un mécénat privé.

 

Le succès et l'abnégation dans la réalisation de ce pavillon, quand bien même il n’est pas officiel, ont ouvert la porte à d’autres artistes algériens. Le monde a été témoin de l'énergie et de la solidarité formidables de la communauté algérienne, portée par les manifestations pacifiques organisées depuis le 22 février, illustrées par la détermination des artistes algériens à faire partie de la plateforme mondiale qu'est la Biennale de Venise.

 

 

Rachida Azdaou à gauche et Amina Zoubir au centre — photo © Anne Murray

 

 

L'artiste Amina Zoubir nous explique ainsi comment le pavillon s'est développé au fil du temps et comment elle a appris à établir une connexion avec la ville de Venise. Cette présence à Venise était pour elle un objectif depuis de nombreuses années, et est déterminante pour exister et réussir en tant qu’artiste. Ses œuvres, réalisées via différents mediums, ont pour caractéristique commune l'utilisation de mots en arabe et en anglais. L'œuvre faite en néons This is Time of Happiness, transforme une lumière verte généralement assimilée aux commerces en un marqueur d'un monde où l'unité prime sur le jugement.

 

Dans un petit coin, une étagère remplie de pots, à moitié pleins, d'autres à moitié vides, porte le titre Archives d'Alger, est l'œuvre de Rachida Azdaou. La proposition porte sur une recherche liée à un cimetière d'Alger qui était condamné à être détruit. Rachida Azdaou décrit ce cimetière comme un lieu d'inclusion où, historiquement, des personnes de toutes les religions et de toutes les couches sociales pourraient être enterrées.

 

Le Traité d’Amsterdam d’Oussama Tabti, une série d’étoiles à pointes, fait écho aux barrières aux pigeons bien connues des Européens, qui bloquent la nidification de ces oiseaux, à l’instar des immigrants dont la liberté de mouvement est mentionnée dans le traité.


 

L'exposition comprend également des photographies de Hamza Bounoua et un catalogue réalisé par Mourad Krinah — le second n'ayant pas eu la possibilité d'assister au vernissage, rappelant à quel point l'obtention de visas était une autre difficulté à surmonter pour ces artistes...

 

Quant au mot de la fin et pour ce qui est de la responsabilité assumée par le commissaire de l'exposition, Hellal Zoubir, cette dernière estime que « ce n'est pas important pour moi d'être commissaire, par contre ce qui est important c'est que l'Algérie devait être présente à cette grande manifestation internationale avec ses artistes. Je pense avoir ouvert la voie pour la participation de l'Algérie à cette Biennale, et espère que la prochaine se fera dans la sérénité. »