L’art contemporain africain selon les artistes africains

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« L’art africain, c’est un peu comme un bitcoin, ça ne coûte pas beaucoup » rigole à moitié Emo de Medeiros quand la curatrice Marie-Ann Yemsi lui demande s’il est possible — ou souhaitable — de définir l’art africain.

Son marché connaît une croissance unique, mais au-delà de ce cette dimension commerciale, l’art contemporain africain a résolument trouvé son ancrage sur la scène artistique internationale, et ce, sans tourner le dos à ses problématiques propres et son histoire.

Né au Bénin, Emo de Medeiros vit et travaille aujourd’hui entre son pays d'origine et la France. L'artiste s’interroge sur les définitions établies de l'identité africaine. La semaine dernière, lors d’une rencontre à La Colonie — lieu ouvert à Paris par Kader Attia —, il portait son masque, lui couvrant la moitié du visage : « Je ne pense pas que ce je fais soit nécessairement influencé par qui je suis. C’est pour cela je porte un masque ».

Pléthore d'événements consacrés à l’art africain contemporain se tiennent simultanément à Paris au printemps, certains dans des certains des espaces culturels et artistiques majeurs de la capitale — notamment au Grand Palais et aux Galeries Lafayette. Les artistes venus d’Afrique et de sa diaspora ne sont ainsi plus relégués aux sections « focus » des foires.

 

Stand de la galerie 50 Golborne à Art Paris Art Fair. œuvres d'Emo de Medeiros. Courtesy 50 Golborne et Art Paris Art Fair.

 

Si la fracture entre le monde occidental et le monde non-occidental s'est réduite, pour les artistes Joël Andrianomearisoa, Emo de Medeiros et Dalila Dalléas — tous nés en Afrique mais vivant et travaillant en France — la question de l’identité demeure significative, mais pour des raisons différentes de celles que nous pourrions présumer.

Pour Dalila Dalléas, qui a remporté le Prix L’Art est Vivant à Art Paris cette année, les artistes africains font « constamment face à la question de l’identité, qui est très médiatisée, mais cela intéresse finalement seulement les gens qui posent la question ». En tant qu’artiste algérienne, Dalila Dalléas préfère affirmer son identité africaine en participant aux événements tels Dak’Art mais « cela n’apparaît pas dans [son] travail ».

Plusieurs artistes ont ainsi pris leurs distances avec un discours trop abstrait autour du label « Africain ». Pour Emo de Medeiros, par exemple, la définition est trop réductrice : « Nous ne parlerions pas d’artiste Européen pour quelqu’un qui vient d’Italie ou du Royaume-Uni. Nous ne pouvons pas parler réellement d’art africain, c’est juste une agglomération d’éléments visuels qui sont présentés simultanément sur la scène artistique contemporaine ».

Cette agrégation simultanée est l’une des raisons pour lesquelles les institutions occidentales ont tendance à présenter des centaines d’années d’histoire de l’art sous une seule rubrique, perpétuant les incohérences autour de la notion d’art africain — pensons à la Fondation Cartier et son exposition « Beauté Congo », couvrant 90 années de production artistique, chose qui serait impensable pour des artistes de n’importe quel pays européen.

Pour Emeka Okereke, l’idée même d’art africain est « une construction rapide ». L'artiste précise ainsi : « j'ai refusé d’exposer une de mes œuvres à Art Paris parce que je pense vraiment que ce genre d’événements participent de la construction de cette fausse idée, cette notion problématique d’Afrique ; cette unification forcée porte atteinte à l'ensemble ».

De même, cette « notion problématique d’Afrique » présuppose souvent une idée de nouveauté, qui a également contribué au manque de reconnaissance de la riche histoire artistique du continent. La plupart des artistes sont réticents à parler d’une « nouvelle ère » et sont catégoriques sur l’idée que « l’Afrique n’est pas une invitée dans le récit européen, ou en France » comme Emeka Okereke l'explique, mais a influencé sa production culturelle depuis des siècles. L'importation coloniale de reliques culturelles sacrées a laissé un goût amer dans la bouche des artistes qui trouvent maintenant leur pratique écartelée entre les deux continents. Si « l'art africain » veut aujourd'hui continuer à développer sa présence et ses structures, il semble important — maintenant plus que jamais — qu'il poursuive son propre chemin ; l'Europe ne doit pas être maître de la place accordée à l'art africain.

 

François-Xavier Gbré, W'o shì f''eizh''ou / Je suis africain. Courtesy Galerie Cécile Fakhoury.

 

Loin du contexte institutionnel, et en travaillant au-delà du discours curatorial abstrait, « Le Jour qui Vient » organisé par Marie-Ann Yemsi, se tient aux Galeries Lafayette, haut lieu du tourisme, et présente des artistes aussi divers que Joël Andrianomearisoa, Bronwyn Katz, Ruby Onyinechi Amanze ou Lebohang Kganye, avec le désir de sortir l’art du contexte institutionnel et le rendre accessible à un large public, et ce à travers un proposition ambitieuse et intelligente de la part des organisateurs.

Comme Marie-Ann Yemsi nous le rappelle, c’est comme si les artistes africains devaient constamment « se justifier eux-mêmes ». Des événements comme celui-ci, mais aussi l’exposition « Afriques Capitales » à la Grande Halle de la Villette, renoncent aux discours curatoriaux trop compliqués en préférant l’auto-expression intransigeante des artistes, comme avec Je Suis Africain de François-Xavier Gbré — écrit en caractères chinois monumentaux qui accueille les visiteurs à la Villette, affirmant indéniablement une identité qui reste fixe et volatile en même temps.

 

L'ensemble des citations proviennent du tlak « Contemporary African art… to what end? » organisé à La Colonie le 31 mars.