Estelle Vétois | Quand la photographie devient une construction du réel

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Crash Test: Estelle Vétois
« Je m'intéresse à l'image capturée, qu'il s'agisse de photographie ou de vidéo. C'est à la fois mon médium et mon sujet. La forme implique le sens, et vice versa » explique Estelle Vétois à propos de son travail expérimental, récemment montré au Festival Traverse Vidéo de Toulouse.

 

Née à Paris en 1992, Estelle Vétois est désormais installée à Metz. C'est dans un album photo trouvé dans un marché aux puces, qui relate la carrière d’un caméraman de l’ORTF, qu'elle a découvert l’image qui a inspiré Crash Test. « Tout mon travail repose sur l'analyse critique des médias pour lesquels ce caméraman était employé à l'époque. »

 

Estelle Vétois

 

 

Présentée à la fois dans un couloir et dans la salle de projection au sous-sol de l'école Prep-Art, l'œuvre est visionnée dans des contextes différents — créant de multiples effets sur le spectateur. Une image en noir et blanc est projetée de manière séquentielle, son mouvement consiste en un balayage horizontal éclairant des sections rayées une par une ; le spectateur doit reconstruire l'image de mémoire. « Je remets en question les limites de l'outil optique. Le noir et blanc était l’une des limites techniques initiales de la photographie et de la vidéo. Les contraintes techniques agissent comme des règles à partir desquelles créer : des cadres restreints, l'immobilité, la bidimensionnalité, les pixels, etc. Explorer ces différentes frontières pour révéler la construction de l'image est le fondement de mon travail et me permet de me demander où se situe le seuil de lisibilité » poursuit l'artiste.


 

La curiosité inhérente à l'instinct humain est activée dans Crash Test, « un dispositif activé par le regard du spectateur. L'expérience sera différente au regard de nos propres références culturelles, de notre mémoire ou de même notre niveau de concentration ».

 

La forme des images varie en fonction d'une lampe de poche : le haut et le bas de la lumière se fondent dans un « champ d’incertitude » plus sombre. On pourrait faire ici un parallèle avec le champ d’incertitude inhérent à la pratique artistique d'Estelle Vétois, où elle rend floues et re-contextualise les frontières entre la photographie et la vidéo, fusionnant. Outre une installation, l’œuvre est présentée en boucle dans le sous-sol aux côté d'œuvres d’autres vidéastes, renforçant ainsi le rôle du spectateur dans la contextualisation de l’œuvre. La notion de temps introduite par la présentation de la vidéo en boucle au sous-sol constitue l'élément clé d'une installation fixe au mur, notre compréhension de l'œuvre étant remis en cause.

 

 

Crash Test

 

 

« Pour être sincère, je ne fais désormais plus de distinction entre photographie et vidéo. Il s'agit d'une même famille d'images enregistrées — j'utilise simplement l'une pour interroger l'autre. Je réalise des photographies à partir de vidéos, et vice versa » insiste l'artiste. Dans Crash Test, les deux médiums deviennent intrinsèquement liés en tant que deux parties d’un code binaire, ce qui n'est pas sans rappeler la manière dont Estelle Vétois décrit son utilisation du noir et blanc : « Cela me permet de simplifier et d'amplifier la dualité entre ce que l'on montre et ce que l'on cache, le blanc faisant référence à l'information provenant de la lumière et le noir à son absence. Le noir est donc le silence du code numérique ; le blanc est son expression maximale. J'aime cette idée de tension, de lutte, d'un éclat de lumière à travers toutes les nuances de gris de cette bataille. »


 

En effet, le besoin de blanc naît de la présence du noir — l'image sort des ténèbres, l'une s'appuie sur l'autre, définit l'autre. Deux éléments sont intrinsèquement liés et font naître un mysticisme inquiétant, rappelant la musique de Max Richter, où les lois de la physique, de la mémoire, et de la matière elle-même pourraient en un instant être redéfinies et brisées, un test de collision des possibilités et des résultats, de la même manière que la vérité est redéfinie dans le postmodernisme. « Si deux théories ou modèles physiques prédisent les mêmes événements, l'un ne peut pas être considéré comme plus réaliste que l'autre, nous sommes libres d'utiliser le modèle qui nous convient le mieux » (p.7, The Grand Design, Stephen Hawking et Leonard Mlodinow). Cette citation est une base pour le travail d'Estelle Vétois dans le contexte de la physique quantique, où le temps et l’espace sont considérés comme multidimensionnels, ayant des réalités co-existantes.

 

« La photographie est utilisée comme un outil objectif dans les médias (en particulier à la télévision). Nous disons, « voilà le réel », mais il s’agit en fait d’une construction du réel car l’image est limitée (cadre, point de vue, etc.) et, résulte de choix faits par le cameraman, subjectifs. Ce qui est intéressant dans les images issues de l'album photo que j'ai trouvé, c'est qu'elles redirigent l'œil et montrent ce qui est généralement caché : les caméramans avec leur appareil photo = le dispositif de construction de l'image média ». C'est précisément cet élément, l'affichage direct du dispositif de construction qui a attiré Estelle Vétois vers la photo utilisée pour Crash Test.



 

Le travail de l'artiste est actuellement à découvrir dans le cadre de l'exposition collective « FUGITIF », à la Galerie 0.15, à Metz.