Au-delà du féminisme : les Guerilla Girls s'attaquent à l'Europe

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Exposées à la Whitechapel Gallery de Londres et chez mfc-michèle didier à Paris, également présentes à la Tate Modern et la semaine dernière à Frieze — d’où les fondatrices Käthe Kollwitz et Frida Kahlo furent chassées —, les Guerrilla Girls s’intéressent au Vieux Continent cet automne, et se demandent si c’est « vraiment pire en Europe ».

La situation des femmes dans le monde de l’art n’évoluant que très lentement, l'activité du groupe est toujours aussi pertinente qu'en 1985, année de sa fondation. Ayant interrogé 400 musées en Europe, les Guerrilla Girls continuent d'enfiler leurs masques de gorilles et d'aborder les problématiques liées au genre, à l’origine ethnique ou économique dans le monde de l'art.

Les résultats de leurs travaux révèlent que l'histoire de l'art contemporain est encore en grande partie liée à l'histoire de l'économie et de la puissance. Malgré des exceptions notables, dont l'Espagne et la Pologne — les deux pays qui semblent avoir fait le plus pour combler l'écart entre les sexes dans les arts visuels —, l’Europe semble encore discriminer en silence les minorités de genre ou d’origine, et pire encore, retomber dans le tokénisme — c’est-à-dire l’effet « poudre aux yeux », qui consiste à nommer quelques femmes dans des hautes instances du pouvoir...

H A P P E N I N G a rencontré Käthe Kollwitz et Frida Kahlo.

 

A l’occasion de votre exposition à la Whitechapel vous revisitez votre poster de 1990 « Is it even worse in Europe? » (Est-ce encore pire en Europe ?) Vos projets en Europe sont-ils différents de ce que vous avez fait par le passé ?


Pour la Whitechapel, nous avons envoyé des questionnaires à 400 musées, et les réponses sont présentées dans l’exposition ; pour la Tate, nous serons en résidence une semaine en octobre, proposant un « département des plaintes », où les gens viendront déposer leurs plaintes, cela sera très politique.

La plupart des gens viennent au musée uniquement pour apprécier et admirer, mais nous aimerions en faire un espace critique. Nous aimerions que les gens viennent et se plaignent, mais je ne pense pas que beaucoup de gens attendent ça d’un musée.




 

 

Il y a t-il de réelles différences entre ce qui se passe en Europe et ailleurs ?


Les musées européens sont principalement gérés par des organisations gouvernementales, mais l’on voit de plus en plus d’institutions européennes être liées aux riches collectionneurs qui les soutiennent.

C’était auparavant le cas avec les oligarques et milliardaires respectueux de l’expertise des curateurs, mais désormais ils ne regardent que les cinq plus importantes galeries au monde, et achètent la même chose. L'art qu'ils achètent peut être de qualité, mais alors comment soutenir les autres artistes ? Que se passera t-il si chaque musée possède uniquement le top 10 des artistes les plus chers de chaque époque ?  Que penseront les gens de tout ça dans 100 ans ?

Nous avons vu votre récente intervention au Ludwig Museum de Cologne (une bannière géante installée sur la façade du musée). Pourquoi est ce que les musées vous proposent de plus en plus de collaborations alors que vous mettez en lumière leurs faiblesses ?


Je pense que vous devriez leur demander...




 

Le problème est aussi que nombre de ces musées privés ne sont pas entièrement ouverts au public...


Eh bien, ils les ouvrent seulement quelques jours par an, et cela leur permet de gagner de l’argent, alors que le musée est censé être à but non lucratif.

Le musée Ludwig a permis à Peter Ludwig de se soustraire de manière importante aux impôts. Il a fait don du musée au public, mais c’est un bâtiment surdimensionné, avec son nom dessus, et il a utilisé l’art de manière très stratégique afin de favoriser ses intérêts commerciaux et diminuer ses impôts.

Donc, vous ne pensez pas que la situation s'est arrangée ces dernières années ?


Bien sûr, les choses se sont améliorées pour les femmes artistes et les artistes de couleur, au moins aux États-Unis. Cela étant dit, beaucoup d'autres choses auxquelles nous ne nous attendions pas se sont produites. Nous ne pensions pas que le tokénisme deviendrait un problème.

C’est maintenant embarrassant pour une galerie ou un musée de monter une grande exposition sans inclure quelques femmes et artistes de couleur. Mais pendant que vous travaillez sur les expos les plus visibles, les femmes et les artistes de couleur renoncent tant au niveau des expositions individuelles que des monographies et certainement au niveau du marché.

Si vous regardez les résultats des enchères, les femmes et les artistes de couleur réalisent environ 12 % des prix que les hommes blancs font. Lorsque vous arrivez au sommet où l’argent est vraiment présent, les opportunités sont encore offertes aux hommes blancs.

Dans une récente interview, vous avez dit que vous avez découvert que le monde de l'art prend davantage les féministes au sérieux lorsqu'elles utilisent l'humour. Pourquoi pensez-vous que ce soit la meilleure façon de faire passer votre message ?


Si vous faites rire quelqu'un qui est en désaccord avec vous, alors vous avez réussi à attirer son attention. Mais il y a une longue histoire de la satire politique, en particulier dans la langue anglaise, et cela est généralement vrai dans les périodes de l'histoire où il y a une grande oppression, et la moquerie est généralement dirigée vers les gens les plus puissants. Utiliser l'humour pour se moquer de vos oppresseurs peut vous donner un sentiment de liberté, même si elle est seulement momentanée.


Quels conseils donneriez-vous aux femmes artistes qui tentent de prendre des chemins différents afin de vendre et exposer leur art ?


Nous avons créé un paradigme différent sur la façon de survivre en tant qu'artiste. Nous avons échangé avec tellement de gens, nous avons pu diffuser très largement notre travail —  notamment à travers la vente de poster pour 20 $. Nous sommes vraiment fières d'avoir pu le faire.

Donc, notre conseil serait d’inventer un autre monde de l'art, inventer un mode de vie qui convient à vos valeurs, parce que le monde des musées et des galeries, ce sont quelques gagnants et de nombreux perdants, et nous savons que ce n'est pas de cette manière que la culture se développe et se diffuse. La culture est bien plus riche que ces quelques gagnants.