Cette Biennale est superbe, elle est diverse, on y découvre de jeunes talents, et d'autres déjà confirmés. C'est une « exploration du monde contemporain arabe, non seulement à travers l'oeil de ses photographes, mais également à travers des regards extérieurs » annonce Gabriel Bauret, Commissaire général de la manifestation.
La seconde édition de la Biennale des photographes du monde arabe contemporain est lancée à Paris par l'Institut du Monde Arabe et la Maison Européenne de la Photographie et réunit 50 photographes, à travers huit lieux. Elle est à découvrir jusqu'au 12 novembre. Cette année, le focus est mis sur deux pays, l'Algérie et la Tunisie, dont les créateurs furent moins mis en lumière que ceux originaires du Maroc ces dernières années. Olfa Feki, commissaire tunisienne a ainsi été appellée à collaborer.
Si la question de la frontière entre photojournalisme et photographie dite « artistique » est régulièrement posée, un événement tel cette biennale apporte une réponse évidente. Le photojournalisme appelle à compléter un texte, une information, la photographie à découvrir ici se passe de mots, elle informe sans mots.
C'en est fini de la lutte, place aux questions
Après des années marquées par le Printemps Arabe, la première page de cette étape semble être tournée. Après le soulèvement, viennent les questions, celles portant sur l'identité, sur l'existentialisme, une nostalgie neutre, la lutte contre l'oubli ; des questions qui se retrouvent à l'IMA dans le travail sur les mosquées abandonnées autour de Médine par Moath Alofi, ou encore dans les clichés de Roger Grasas, portant sur la mutation d'un territoire en marge : le désert. Lorsqu'on évoque le Maghreb, le terme mutation revient sans cesse. Car changer, ne veut pas dire tout jeter, et mutation veut toujours dire nostalgie.
Roger Grasas Falaj al Harth Série Min Turab Sultanat d'Oman 2013 / The Last Tashahhud V 2014 © Moath Al-Ofi
L'état du monde arabe est en question, sous des formes si multiples, que là se trouve la richesse de la Biennale. Quand Robin Hammond s'interroge sur les questions de société et de droits de l'homme avec un travail portant sur les discriminations auxquelles font face les personnes LGBT. De son côté Scarlett Coten questionne l'identité masculine au sein du Monde Arabe, Rania Matar explore la même question chez les fillettes et adolescentes. Cette question « identitaire », qu'elle soit personnelle ou collective, est aussi éminemment présente dans le travail de Mouna Karray, avec sa série Noir.
Scarlett Coten, Yahia Série Mectoub -Tunis -Tunisie 2014 / Rania Matar Christina 10 Série Becoming
« Cette ambivalence de peuples qui pensent leur futur en pansant leur présent », comme le soulignent les commissaires, pousse Jaber Al Azmeh à s'interroger sur « la gestion chaotique des pouvoirs étatiques et les migrations intensives », l'injustice du monde, « la folie de notre système ». Une injustice également à retrouver dans le travail de Zied Ben Romdhane, qui soulève la question des inégalités existantes entre les régions minières pauvres, du sud-ouest de la Tunisie, et les régions côtières à l'économie prospère.
Jaber Al Azmeh, Survival 4, Série Border Lines 2016
Zied ben Romdhane Chattessamem Série West of life 2013-2016
A la MEP, trois photographes sont exposés, dont Hicham Benohoud. Ce dernier présente deux séries, The Hole, et Acrobatics. La première est une expérience singulière : l'artiste a demandé à des familles de venir réaliser de véritables trous dans leurs maisons (le tout assisté par une équipe de maçons), avant que les membres de la famille se placent à l'intérieur de ces espaces pour être immortalisés. La seconde série propose à des acrobates de la place Jemaa el-Fna de réaliser leurs figures dans un contexte intime et familial.
Hicham Benohoud Série Acrobatics - Courtesy de l'artiste et Loft Art Gallery
Si au Maghreb, la violence est presque synonyme de passé, ce n'est pas le cas dans toutes les zones du Moyen-Orient, c'est ainsi qu'à la mairie du IVème, est présenté le sublime et frappant travail de Michel Slomka. Dans un lieu où le 20 septembre prochain sera inaugurée une salle Leila Alaoui, on parle de l'après, du futur d'un peuple détruit, les Yézidis. Michel Slomka évoque ici les blessures psychiques, la manière de parler du trauma, de ce qu'on ne voit pas, de ce qui n'est pas tangible, des outils de résilience.
Mairie du 4e — Michel_Slomka Des petites filles forment une ronde a l'exterieur du camp de refugies de Sharya au Kurdistan irakien Irak 2016
Rendre compte d'une génération
Au milieu de ces huit lieux, nombreux seront ceux bluffés par la qualité de la proposition du commissaire Bruno Boudjelal. Au sein de la Galerie de la Cité Internationale des arts, « IKBAL / ARRIVÉES » réunit le travail de 20 jeunes (moins de 30 ans) artistes algériens.
Fethi Sahraoui, Stadiumphilia
Le commissaire, qui se veut une « passerelle entre les jeunes photographes algériens », nous offre un panorama puissant de cette nouvelle scène. C'est ici une pluralité de regards, de visions, d'angles, qui sont à découvrir. Si l'on devait n'en souligner que certains, le jeune Fethi Sahraoui impressionne avec sa série Stadiumphilia — réalisée avec un Iphone. Lauréat 2017 du prix des Amis de l'IMA pour la création contemporaine, il capte des scènes de la vie ordinaire : après Mercedes Island, ce sont ici les stades de football, fréquentés par de très jeunes personnes, qui sont dans le viseur. L'objet n'est ici pas de parler du football, mais de « l'échappatoire qui leur permet de fuir la cruauté et la pression sociale qu'ils endurent ».
Youcef Krache 20 cents
Mehdi Boubekeur Série Tags ala tags / Nassim Rouchiche Série Ca va waka
Ce panorama d'une nouvelle génération ayant envie de « raconter la vie de l'Algérie d'aujourd'hui », permet de découvrir l'univers des combats de moutons par Youcef Krache, de se plonger dans les murs d'Alger, terrain d’expression de la jeunesse avec Tag ala tags de Mehdi Boubekeur, de découvrir ces invisibles — ces immigrés d'Afrique subsaharienne — auxquels personne ne prête attention, grâce au travail de Nassim Rouchiche.
Atef Berredjem Série To Here from Here
Autre témoignage, celui d'Atef Berredjem, qui a passé un total de 32 jours dans un train, enchaînant les allers/retours entre sa ville natale, Annaba, et Alger. L'idée est ici d'aborder la question du cruel manque de connexion entre les pays du Maghreb, mais aussi le rêve d'évasion de la jeunesse algérienne — en simulant un tour du monde : 40.075 km.
Au milieu de cette agitation, la série A Way of Life de Hakim Rezaoui offre une vraie émotion, travaillant sur l'introspection, grâce à la création d'atmosphère, « jouant sur les flous et les formes. »
Hakim Rezaoui Série A way of life
Cette Biennale des photographes du monde arabe contemporain, gagnant naturellement en maturité, ne cherche ainsi pas « à coller à l'actualité, mais plutôt à se laisser guider par des regards, avec du recul, autrement. » Le travail peut être tendre, ironique, critique, mais l'objectif est de « s'écarter des stéréotypes qui encadrent le monde arabe », et ce avec un souci de la forme, une diversité d'écritures, une mixité, une pluralité des visions, une exploration du medium.
Pour cette dernière particularité, la galerie Binôme ouvre son espace à Sara Naim & Mustapha Azeroual. Le duo — guidé par la commissaire Laura Scemama, et en collaboration avec l’Observatoire de Paris (LESIA) et en partenariat avec Solar Screen —, présente avec « The Third Image », un travail sur le thème de la lumière, ses origines, parmi lesquelles le soleil, première source.
Sara Naim & Mustapha Azeroual, Dispositif optique et diffraction de lumière, 2017, video HD, boucle de 0’50’’ plexiglass
Biennale des photographes du monde arabe contemporain